On parle beaucoup du microbiote chez les humains, mais quasiment jamais du microbiote de l’abeille. C’est dommage car il y a des choses à en dire, d’une part pour comprendre certaines curiosités dans la biologie de la ruche, et peut-être aussi pour imaginer disposer de leviers d’action en matière sanitaire. Voyons ce que l’on sait aujourd’hui.
Un certain nombre d’études publiées identifient différents micro-organismes isolés de la flore digestive des abeilles, que ce soit à partir du jabot ou de l’intestin. En effet, on gardera à l’esprit que le tube digestif de l’abeille est en fait à double usage : le jabot qui sert au transport de nectar et qui est sollicité dans la trophallaxie, le mécanisme de nourrissement entre individus de la ruche ; l’intestin moyen et postérieur avec ses extensions (tubes de Malpighi) qui servent à l’absorption et à l’excrétion des aliments. Ces deux portions du tube digestif n’ont pas la même acidité, la même flore, la même densité en microorganismes (virus, bactéries, levures, etc…).
Il faut savoir également une particularité de l’intestin de l’abeille qui est la présence d’une couche protectrice entre le contenu intestinal et la paroi de l’intestin : la membrane péritrophique est sécrétée par les cellules intestinales quelques jours après l’émergence de la jeune abeille, est constituée de mucus et de chitine et a une épaisseur d’environ 20 microns. Elle joue un double rôle :
- C’est une première « ligne de défense » contre les agressions chimiques, mécaniques, bactériennes. A noter qu’on lui attribue un rôle de plus en plus important dans les pathologies qui se déclenchent de préférence en même temps qu’un déséquilibre alimentaire, comme le nourrissement avec un sirop de mauvaise qualité (expression de la nosémose) ou certaines viroses qui se déclenchent au moment de la miellée de sapin.
- Elle « colle » les plus gros des micro-organismes (les bactéries notamment) et différents enzymes ce qui leur évite de partir trop vite dans le flux intestinal.
Une liste de microorganismes isolés à partir du tube digestif de l’abeille qui s’allonge donc, avec un consensus pour dire que quatre genres de bactéries sont toujours présents et constituent le « core microbiota », le microbiote de base de l’abeille : Ce sont les genres Lactobacillus, Bifidobacterium, Snodgrassella et Gilliamella. Les trois derniers sont exclusivement transmis par trophallaxie, alors qu’on trouve Lactobacillus également dans le pain d’abeille.
Le microbiote est moyennement développé chez la larve, régresse assez logiquement chez la nymphe et remonte en puissance au cours de la première semaine qui suit l’émergence.
Bon, c’est bien joli, mais alors à qui sert le microbiote de l’abeille ?
C’est encore un sujet de recherche, mais on peut tout de même dire ceci :
Le microbiote semble jouer un rôle de « carte d’identité » de la colonie. On sait que l’appartenance à la colonie se reconnait entre abeilles via des composés odorants émis par la cuticule des abeilles (les hydrocarbures cuticulaires). Une étude récente a montré que leur composition est sous la dépendance des micro organismes intestinaux, qui sont de fait responsables du « cocktail identitaire » propre à la colonie.
A noter au passage, que le microbiote de la colonie se retrouve chez les ouvrières et les faux bourdons, mais qu’il est différent chez la reine – qui heureusement a d’autre moyens de se faire reconnaitre et accepter.
Une autre question porte sur l’usage thérapeutique éventuel (en prévention ou en association avec d’autre mesures sanitaires) que l’on pourrait attendre de l’utilisation de probiotiques – sujet éminemment à la mode pour nous. Ici encore, on est au début de ces applications. On peut signaler deux études qui concluent à l’efficacité d’un nourrissement contenant Bacillus subtilis sur des colonies Apis mellifera en Argentine avec augmentation des performances et meilleure résistance à Varroa et Nosema. On reste encore dans le cadre de projets de recherche, mais l’objectif est intéressant.
Enfin, difficile de terminer un billet sur le microbiote de l’abeille sans redire que toute analyse s’interprète avec soin. Ce n’est pas parce que l’on a extrait une bactérie ou un virus réputé pathogène de prélèvements que cela signe automatiquement la maladie. Il y a vraiment un regard à porter sur différents éléments, certes le résultat de l’analyse, mais aussi le seuil d’infestation (la charge bactérienne ou virale), les commémoratifs, des facteurs d’environnement. Présence d’un pathogène ne veut pas dire responsabilité du pathogène. Par exemple il semble que l’on trouve assez facilement le virus de la « maladie noire » (Paralysie chronique – virus CBPV) dans l’intestin, mais il faut savoir qu’il ne s’y multiplie pas. Eh oui, pas toujours facile les diagnostics chez les abeilles.
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